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Interview Matt Elliott / The Third Eye Foundation

"Ce qui rend les gens créatifs, c'est ce qui les rend un peu fous aussi..."

(Interview également publiée sur Emission Electrophone)


Matt Elliott a commencé très fort cette année en annonçant la réédition du premier album de son projet The Third Eye Foundation, Semtex, et la sortie de The Calm Before, nouveau chapitre d'une carrière folk déjà bien remplie. Deux excellentes raisons de rencontrer en janvier dernier, quelques instants avant la release party de Semtex version 2016, cet artiste libre et singulier, à l'image de l'homme, sans fard, insoumis et lucide sur ses parts d'ombre. Comme je suis enrhumée, Matt, prévenant, me propose une " tangerine, c'est plein de vitamine C, c'est bon pour toi ". Un remède imparable qui vient compléter le petit verre de mirabelle offert par son manager Eric quelques minutes auparavant... De quoi mener cette interview dans des conditions optimales :

Trip-Hop.net : Tu ressors Semtex 20 ans après sa première sortie ; outre l'anniversaire, pourquoi rééditer ce premier album aujourd'hui ?

Je ne sais pas, mais je crois que c'était mon idée... Oui, 20 ans, c'est important de les célébrer, du moins pour moi. En même temps, j'ai retrouvé un sac de cassettes, de démos, et j'ai passé des weekends à écouter tout cela. Je ne sais pas si tu as entendu les extraits, mais c'est un peu plus ambient... A l'époque, je prenais pas mal de LSD, et j'étais obsédé par le film 2001 (L'Odyssée de l'Espace), donc j'essayais d'enregistrer le son de l'espace, l'univers ; parallèlement, j'essayais beaucoup de trucs, j'étais jeune, je voulais être musicien. J'aimais beaucoup My Bloody Valentine, donc j'ai fait beaucoup de démos de ce style... Et puis Beck aussi. J'ai fait pas mal de démos de merde, des morceaux plutôt indie pop, avec des textes, je ne sais pas trop ce que je chantais... Et j'avais honte ! Parce que j'imaginais que c'était nul...
Mais au fond, je ne sais pas pourquoi on a réédité Semtex...

Trip-Hop.net : Tu le réédites aussi sur un nouveau support, alors qu'il n'était plus disponible... et avec une bonus cover qui montre que le temps a passé aussi...

Oui, avec le squelette de chien ! C'était une petite blague. Le photographe de la cover fait des photos dans des bâtiments abandonnés ; celle-là allait très bien avec l'album. Semtex a été remastérisé également, par Anders Peterson qui a fait un vrai bon travail ! Quand j'écoute le master original, ce n'était pas très bon.

Trip-Hop.net : Le Bristol des années 90 est devenu un peu mythique ; raconte nous ta version, celle du gamin de 20 ans...

J'ai bossé dans des magasins de disque, genre old school, avec un mec un peu fou qui connaissait vraiment la musique(ndr : Revolver Records) ; et on n'avait pas beaucoup de crédit auprès des distributeurs. La première fois que j'ai entendu le nom de Portishead, c'était un peu comme pour Nirvana, parce qu'on avait vingt personnes qui débarquaient pour demander le disque. Dans ma tête, j'imaginais quelque chose d'autre ; du coup, quand j'ai écouté, j'étais surpris de trouver cela assez populaire. Ça ne m'a pas vraiment touché...
En fait, j'étais légèrement plus jeune, j'avais 14 ans, et j'ai loupé le Dug-Out Club : c'est de là que viennent les Massive Attack, premier des groupes trip hop... Mais c'est vrai que quand tu grandis dans une ville comme Bristol, quand tu marches dans la rue et que tu entends du reaggae, du ragga - c'était du protoragga à l'époque - tu crois que c'est normal qu'il y ait du trip hop partout... Il y avait aussi cette autre boîte de nuit, Cosy, qui existe toujours je crois : c'était génial, tu avais la grande tireuse à bière, tu pouvais fumer un joint, avec toujours de la bonne musique comme du trip hop ou de la jungle... Et il y avait les soirées dub aussi. Quand tu sortais de là, tu avais mal au ventre tellement les basses étaient puissantes. J'aimais bien aller dans les toilettes juste pour entendre le bruit résonner ! J'ai découvert aussi Mo' Wax : j'étais vraiment un grand fan et j'achetais tout ce que je pouvais trouver de chez eux.

Trip-Hop.net : Cette réédition de Semtex, c'est le signe que tu envisages un nouvel album avec The Third Eye Foundation ?

Oui ! Normalement, je fais The Third Eye Foundation tout seul, mais cette fois, j'ai cherché quelqu'un avec qui bosser. Avec David, le coproducteur du nouvel album de Matt Elliott, on a commencé à enregistrer. C'est un projet long : je ne sais pas combien de temps ça va prendre, mais c'était bien, on y a déjà passé une semaine. Ce ne sera pas la même chose que The Dark... Le problème, quand tu ne sors pas un disque pendant dix ans, tu n'es sûr rien ! Une moitié du public dit que c'est trop proche de Little Lost Soul par exemple ; l'autre dit, c'en est trop éloigné... De toute manière, je fais toujours ce que je veux ; je ne réfléchis pas à ce que veulent les gens. Mais c'est toujours difficile quand tu laisses tomber quelque chose depuis longtemps. C'était la même chose pour My Bloody Valentine avec leur dernier disque...

Trip-Hop.net : En attendant, tu t'apprêtes à sortir sous ton nom un nouvel album, The Calm Before. Que contient-il ?

Oui, il est prêt, mais il n'est pas très trip-hop... Plutôt des chansons toujours un peu tristes, un peu de colère aussi... Pas vraiment de politique, pas besoin, la politique est partout. En France, en ce moment, c'est le bordel, ça me rappelle l'Angleterre depuis 10 ans. Les socialistes ne sont pas socialistes, trop centristes... Et bien sûr avec la droite, ça me fait peur comme tout le monde ; je ne veux pas habiter dans un pays fasciste, mais je ne peux même pas voter, je suis juste là à regarder le bordel... Aujourd'hui, en Espagne, et même en Angleterre, ou en Grèce, en Italie, c'est plutôt de gauche, mais ici... Il n'y a plus de gauche, plus de solidarité.


Trip-Hop.net : Avec une pochette étonnamment zen : Matt Elliott s'apaise ou méfions-nous de l'eau qui dort ?

Je ne suis pas plus calme, car c'est le calme avant la tempête (rires)... Sur la pochette, tu peux voir au loin qu'il y a un orage qui arrive. C'est un truc qui est arrivé par hasard, comme beaucoup de choses dans mon art : j'ai vu la photo sur facebook et j'ai contacté le mec qui l'a publiée. Il était génial, hyper généreux. Cette pochette est arrivée au bon moment, parce que je n'avais aucune idée de ce que je voulais faire... Parce que l'image dit quelque chose. Même pour le dernier disque, bien avant de l'avoir terminé, j'avais vu l'image par hasard et ça m'avait touché. Je m'étais dit que je l'utiliserais un jour.

Trip-Hop.net : Quelque soit le projet, tu restes sur un univers assez sombre, voire torturé : c'est ta thérapie personnelle ?

C'est un peu ça, oui... J'écris la musique quand je suis triste. Je ne suis pas un mec misérable, j'aime bien rigoler, je fais des blagues tout le temps... Mais comme beaucoup de gens, j'ai des moments où je suis déprimé et c'est à ce moment là que je prends la guitare et j'écris des morceaux... Et en vieillissant, parce que je suis un peu un connard, je cherche les conneries...Il faut analyser ce qui se passe dans ma tête, quand mon coeur est cassé... C'est presque une forme de sabotage !
Oui, c'est une forme de thérapie : en fait, je suis intéressé par la musique comme soin aux personnes, que ce soit pour certaines maladies ou les dépressions. Malheureusement, il n'y a pas beaucoup d'argent pour Alzheimer, ou d'autres pathologies de ce genre. Je suis contacté par des personnes déprimées... Mon premier conseil, c'est " mange comme il faut ". Ensuite, fais de la musique, un dessin, quelque chose de créatif, il faut s'exprimer ! Ce qui rend les gens créatifs, c'est ce qui les rend un peu fous aussi... Si tu parviens à connecter deux choses qui ne le sont pas, c'est vraiment bien pour la créativité, tu les mélanges et tu es le premier à avoir fait ça ! Dans le même temps, ça peut te rendre paranoïaque, si tu n'arrives pas à connecter ces deux choses... Avec la créativité, arrivent souvent les maladies : les personnes que je connais qui sont les plus malades sont aussi les plus créatives. Plus tu te rapproches du génie, plus tu es fou... J'ai étudié un peu la psychologie, les maladies mentales... Et si tu ne diriges pas cette énergie vers quelque chose, ça te rend fou.
Heureusement, ma vie, mon travail, c'est une forme de thérapie : je ne suis pas trop touché par ma maladie, pas trop gravement. C'est vrai que parfois je ferme toutes les portes, je ferme l'ordi et je laisse les gens dehors. Sinon ça va.

Trip-Hop.net : Tu es fidèle au label Ici d'Ailleurs depuis des années : c'est parce qu'il t'offre une totale liberté par rapport à tes choix artistiques ?

Ça fait 12 ans ! Et oui, cette liberté est très importante pour moi. Quand tu fais de la musique sérieusement, c'est le plus important. Ça n'a jamais été un truc pour gagner de l'argent. Le premier but, c'est d'exprimer quelque chose le plus honnêtement possible. Avec Ici d'Ailleurs, ils suivent ce que je veux : ils paient pour les studios, ils m'aident à trouver des solutions, on est une bonne équipe, c'est vraiment comme une famille ! Dans mon appartement, il y a une table de ping pong, et quand il n'y a pas de disque en cours, on se retrouve autour...
Le label me donne son avis, mais je reste libre ; ça reste toujours très constructif... Quand j'étais jeune, à la sortie de Semtex, j'étais un vrai control freak : je faisais la musique et les photos, je mixais, je ne voulais même pas laisser le mec faire le mastering... Avec l'âge, je suis très content de pouvoir déléguer. Je deviens un peu plus feignant, enfin, je suis content de laisser les autres m'aider... Et encore plus sur The Calm Before : il y a moi, David, Jeff à la contrebasse, Raph, le batteur... Et j'ai confiance en David, le coproducteur de l'album : il a vraiment apporté quelque chose, c'est vraiment différent par rapport aux disques précédents.
Oui, j'ai trouvé une vraie bonne équipe entre Stéphane d'Ici d'Ailleurs et les musiciens.

Trip-Hop.net : Tu as collaboré avec pas mal d'artistes, tu as des idées de collabs pour l'avenir ?

Avec mon projet, c'est plus facile car c'est moi qui choisis les musiciens. Et je suis très content d'avoir choisi des musiciens pour les laisser faire ce qu'ils veulent. Je donne les idées de départ, et après, ils vont faire quelque chose de plus en plus libre et finir par faire un truc fou !
Mais c'est difficile quand tu travailles sur un projet commun avec d'autres : je l'ai fait de temps en temps, avec Pedro Soler et son fils Gaspard Claus, j'ai chanté un morceau sur leur disque... ou Les Marquises, avec qui j'étais libre de faire ce que je voulais. Je suis toujours content si les chansons sont cools, que ça marche... Je n'aime pas trop les remixes, j'en ai fait beaucoup dans ma vie, mais maintenant, ça ne m'intéresse plus... Même si chaque chose est une nouvelle expérience pour apprendre plus. Quand tu bosses tout seul tout le temps, tu n'apprends rien. Parce que c'est bon quand les gens te poussent à faire quelque chose d'autre, à réaliser des projets... Ici d'Ailleurs est bon pour pour ça aussi.
Et puis, il y a tous ceux dont je suis fan, mais je ne veux pas faire de collabs avec eux : je suis un grand fan de Tom Waits, mais me retrouver dans le même studio que lui ? Pas possible, je ne pourrais pas me détendre, c'est une trop grande star... J'ai rencontré aussi Kevin Shields, on était potes à Londres, mais travailler avec lui, ça serait un cauchemar j'imagine... Impossible de bosser avec mes héros (rires) !

Trip-Hop.net : Toi qui est installé depuis 15 ans en France, qu'est ce que tu y préfères ?

Je ne retourne pas beaucoup en Angleterre même si ça a beaucoup changé : je suis retourné l'an passé à Bristol... Je voulais détester Bristol, pour dire que j'avais pris la bonne décision de partir, et en fait non, je suis retombé en amour avec cette ville géniale...
Ici, c'est vachement plus facile d'être un artiste : il y a un certain respect pour les artistes qui n'existe pas en Angleterre. En même temps, c'était un peu mieux en Angleterre, parce que j'y étais autoentrepreneur. Les charges sont minimes et tu as le soutien du gouvernement... Mais la vie en France est moins chère, notamment pour louer un appartement par exemple... Et il fait plus beau (rires) !

Trip-Hop.net : Euh, tu n'as pas franchement choisi le meilleur climat en t'installant à Nancy...

C'est quand même mieux que l'Angleterre... Quand j'y suis allé avec Bichon (ndr : son manager), il a vu cinq sortes de pluies différente en deux heures...
Sinon, je ne suis pas ravi de la politique en France en ce moment ; je suis plus content des socialistes en Angleterre qui font vraiment une politique de gauche. Moi, je suis plutôt dans l'anarchisme, mais comme ce n'est pas un truc très réaliste... Donc c'est le plus proche de ce que je peux espérer.
Et puis, il y a un truc que j'aime bien en France, c'est de ne pas comprendre ce que tout le monde dit tout le temps. C'est épuisant d'entendre tout ce que les gens racontent à leurs potes, avec leur portable, toutes leurs conneries ! Ça me rendait dingue quand je suis retourné en Angleterre ! Je comprends le français, mais je peux éteindre le truc, et ce n'est plus qu'un bruit pour moi à la fin. C'est aussi une certaine forme de liberté : je suis tout seul avec moi-même.

Trip-Hop.net : Et la chose à laquelle tu ne t'es toujours pas habitué ?

Si tu veux être vegan, c'est plus facile en Angleterre...

Trip-Hop.net : On va jouer, je te dis un mot et tu me racontes une anecdote : vélo

La meilleure invention du monde ! Je fais 300 kms par semaine, quand je ne suis pas en tournée. Je me sens coupable de prendre le vélo, mais en même temps, je travaille, je répète dans ma tête toutes les chansons. Et à Nancy, c'est génial, il y a beaucoup de petites ballades pour les vélos !
J'aime être libre, être tout seul, je ne suis pas quelqu'un qui a besoin de gens sans cesse autour de lui. Je ne peux pas habiter avec quelqu'un, c'était un problème avec mon ex... J'aime être seul et j'aime être avec mon vélo. J'ai sept vélos, voilà !

Trip-Hop.net : Absinthe ?

Ah, l'absinthe française, c'est génial ! C'est entre un bon gin et un bon joint ! Je ne sais pas combien de litres j'en ai bu dans ma vie, mais ça ne m'a jamais rendu fou... Quand tu la bois comme il faut, avec de l'eau comme le pastis... Je me suis retrouvé dans un sale état avec pas mal d'autres alcools dans ma vie, le whisky, des trucs faciles à boire, mais jamais, jamais avec l'absinthe...

Trip-Hop.net : Leonard Cohen ?

En fait, je ne suis pas un fan. Même si la première fois que je l'ai vu dans une émission à la télé, j'avais 15, 16 ans, aucune expérience de la vie ; il jouait The Stranger et à un moment, il a une larme qui a descendu son visage, ça m'a vraiment touché. Il croit vraiment à ce qu'il chante ! Ça a été sa véritable influence sur moi : quelqu'un qui vit une vraie émotion avec la musique et qui n'a pas peur de l'exprimer...
Bien sûr, il a des morceaux super, mais ce n'est pas ce que j'écoute. C'est peut-être parce que ma voix est grave et que je joue de la guitare... mais je vais réécouter, tiens !

Trip-Hop.net : Un artiste ou un album que tu recommandes à nos lecteurs, un de tes indispensables... ou plusieurs !

J'aime plein de trucs différents... Il y a trop de choses ! Et ça dépend de l'humeur !

Brainticket de Cottonwood Hill : c'est un disque fou de 1971, pas très connu



si tu es malade, en temps de crise : Thunder Perfect Mind par Current 93



Directorsound : une musique instrumentale hyper mignon, mais pas dans un mauvais sens... Et comme beaucoup de musiciens brillants, il est totalement inconnu...



Et le dernier Manyfingers, pas assez de gens achètent ses disques...

Propos recueillis par : Lacar.
 
 
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