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Entretien avec James Reindeer

Entretien avec James Reindeer à l'occasion de la réédition de l'album Amidst the Grease and Chaos d'Iron Filings and Sellotape. On en profite pour parler des activités du label et de celles de l'homme qui se cache derrière tous ces projets, ses débuts, sa propre production, ses motivations et ambitions. Et des nombreux artistes et amis embarqués dans l'aventure Decorative Stamp, à commencer par le co-fondateur du label et vocaliste des Band of Buriers, James P Honey, et des tas d'autres.

Trip-Hop.net : Ainsi donc, James Reindeer se cache derrière le label Decorative Stamp et derrière l'album d'Iron filings and sellotape, 'Amidst the grease and chaos', un album qui n'est pas passé inaperçu par ici. Tout d'abord, tu veux bien nous raconter un peu Decorative Stamp, avec qui et pourquoi vous avez décidé de monter un label ?

Bien sûr. C'est vraiment un honneur et un privilège d'être ici, allons-y! Decorative Stamp est un label collectif constitué exclusivement d'amis, créé dans l'objectif d'auto-produire des projets émanant de différentes combinaisons des membres du collectif. Tout a commencé avec la sortie du 'Rough Tongue Surfaces' avec James P Honey, notre volonté d'auto-produire ce projet et de le sortir le plus simplement possible, ce que James (P Honey) voulait aussi faire avec le premier Murmur Breeze qu'il était en train de finaliser avec AbSUrd. On n'avait pas vraiment le projet de monter un label, c'est juste venu petit à petit à la fois de ce que nous faisions et des relations proches que nous développions avec d'autres artistes dans le même état d'esprit à ce moment là. Je ne pense pas qu'on ait vraiment réalisé avoir un label entre les mains avant au moins un an après l'avoir démarré. En tout cas pour ma part, ça a vraiment commencé à prendre de l'importance après mon départ pour l'Allemagne. Je me suis retrouvé à devoir consacrer de plus en plus de temps à m'occuper du label, puis quand Babel Fishh a sorti le premier 667 EP et Evak le second peu de temps après, nous avons scellé notre collaboration au sein de la Cleaver League qui jusqu'ici était plutôt un réseau de tournées communes, et ça a vraiment fait de Decorative Stamp le genre même de projet auquel j'avais envie de consacrer beaucoup de temps. Tout a commencé à se mettre en place d'une façon représentative de tous les genres musicaux sur lesquels j'avais envie de travailler, que j'avais envie de promouvoir et de soutenir.

Trip-Hop.net : D'où vient le nom: Decorative Stamp? ça compte beaucoup pour toi l'esthétique visuelle au sein du label?

Le nom vient simplement de la description du tampon lui-même: Honey voulait un symbole qu'on puisse tamponner à la fois sur 'Rough Tongue Surfaces' (Jamesphoney & jamesreindeer, 2009, NDLR) et sur 'Bird Irony' (premier album de Murmur Breeze, NDLR) et qui les identifie comme venant de la même écurie. Il disait qu'on avait besoin d'une sorte de tampon décoratif qu'on pourrait utiliser comme logo. Il a dit qu'il allait travailler dessus et, le moment venu, lui et Jamie Romain des Band of Buriers sont arrivés avec le "tampon" qui était en fait l'emprunt d'une petite partie d'une plus grande image qu'ils avaient trouvée, retravaillée au crayon et à l'encre, peut-être un peu de Photoshop et voilà, c'était fait.

En ce qui concerne l'esthétique visuelle du label, on était d'accord avec Honey pour qu'elle soit tout à fait neutre. On ne prévoyait pas de sortir tel ou tel type de musique en particulier, on avait donc besoin d'une image qui ne soit suggestive d'aucun type de musique pour le public. Si on s'était appelés Death-Rap-Inc et qu'on ait voulu sortir un 7" de Mesparrow, on ne serait pas allés très loin. L'idée étant que chaque artiste du collectif puisse développer son propre style et sa propre image librement, et que le label soit un soutien neutre derrière chacun d'entre eux.

Trip-Hop.net : On dirait bien que tu as de multiples activités en tant que musicien et gérant du label, comme produire ta propre musique mais aussi mixer ou masteriser celle des autres, ajouter des instruments ou des field recordings, promouvoir les sorties, mettre à jour le site sans parler de ton propre blog... tu peux nous décrire ton rôle dans le label ?

Héhé, mon rôle dans le label doit être quelque chose qui se situe entre commandant en chef et homme à tout faire, en fonction du point de vue ou de mon humeur du jour! En ce qui concerne Decorative Stamp, je suis en charge de toutes les opérations. Je mets à jour les sites web, j'écris les textes, je poste les news, je programme les dates de sortie, je fais le lien entre les membres de la famille en ce qui concerne les activités collectives, je motive les troupes etc.

En fonction de chaque sortie, ma contribution varie. Le 'Foreshore Reverie' de Murmur Breeze est un de ceux auquel j'ai le plus participé, mixer l'album entier, ajouter des instrumentations et des field recordings, amener de nouveaux musiciens, effectuer des arrangements, faire le mastering de l'ensemble, puis aider à l'aspect design et fabrication maison de la version physique, mettre en page le press-kit, interviewer le groupe, faire la promo et le marketing.

Les sorties de loin les plus simples pour moi sont celles comme le 'Six Pack O' Death' d'Evak & Edison, ou le 'Lone' de Home. Dans ces cas là je me contente de recevoir avec bonheur les MP3 dans ma boîte, je suis anéanti, je me retrouve à répondre OUI ! par mail et à m'occuper du marketing et de la promo tout en attendant que le colis de disques arrive par la poste.

Le deux types de sorties sont un réel plaisir pour moi. C'est tellement bien de se sentir si impliqué dans un projet, comme l'album de A Native Hundred par exemple, sur lequel j'ai bossé du début à la fin, et en même temps, c'est tellement bien aussi de se voir proposer un produit fini. Chaque sortie est totalement particulière pour moi, vraiment.

Trip-Hop.net : C'est probablement un travail à plein temps, non ? A quoi ressemble une journée type au QG de Decorative Stamp ?

Hou la, honnêtement.. En vérité c'est plus qu'un temps plein. Le QG de Decoative Stamp, c'est notre appartement. On a le studio dans une pièce et le bureau dans l'autre. Le matin après m'être trainé sous la douche et préparé un thé noir je m'installe à mon bureau pour commencer ma journée de travail. Les mails et facebook d'abord, voir ce qui s'est passé pendant la nuit. Répondre aux mails urgents, poster la news du jour, puis passer en revue la to-do list à court et moyen terme. Je travaille la plupart du temps à organiser la prochaine sortie, préparer les press-kits, relancer les artistes, courir à droite à gauche pour une course. Beaucoup de mails, et beaucoup de temps passé à essayer de satisfaire tout le monde.

Trip-Hop.net : Ton label signe des artistes qui mélangent des styles aussi variés qu'alt-rap, shoegaze, folk, post-rock.. Tu reçois souvent des demandes d'artistes qui cherchent un label? Quels sont tes critères?

Le mélange total de styles du label vient de nos goûts mutuels, à Honey et moi-même, que nous avons établis au cours de nos premières rencontres, et au cours du travail commun sur 'Rough Tongue Surfaces' qui s'en est suivi. On s'est trouvé énormément de points communs et on s'est ouvert mutuellement de nouveaux horizons musicaux. En collaborant avec pas mal d'artistes du nouveau et du vieux continent on s'est constitué un réseau d'autres artistes dans le même état d'esprit, dont certains sont devenus des collaborateurs, certains des amis. On n'a jamais vraiment cherché à sélectionner des artistes pour Decorative Stamp, c'est tout simplement né de nos amitiés. Par exemple, avant même que Honey ou moi-même ayons échangé le moindre mot avec Babel Fishh, on était tous les deux d'énormes, mais énormes fans de son travail. Donc si tu nous avais demandé à ce moment là, bien sûr on aurait adoré le signer, mais on ne le connaissait pas. Par la suite, au bout d'un certain nombre de tournées ensemble, on est devenus amis et il est devenu évident de sortir du Babel Fishh sur Decorative Stamp. C'est comme ça que ça s'est passé pour absolument tous les membres du collectif. Ce sont tous avant tout des amis, c'est pourquoi sortir leur musique est un tel plaisir.

C'est vrai qu'on a eu un certain nombre d'artistes, des inconnus comme de très respectés, qui se sont rapprochés de nous dans l'objectif d'éventuellement intégrer les rangs. La plupart du temps ça va dépendre de la charge maximale de travail que je peux accepter à ce moment là, bien sûr de la qualité du travail de l'artiste en question, mais aussi de la nature de nos relations dans la vraie vie.

Trip-Hop.net : On dirait que le projet A Band of Buriers marche bien : qu'est-ce que tu fais si les Buriers deviennent d'un seul coup un supergroupe universel, faisant de Decorative Stamp un superlabel universel te permettant de sortir n'importe quel artiste ?

Hé hé, intéressante proposition ! Il m'arrive de me demander à quoi ressemblerait le label avec un véritable investissement financier. En fait, je pense que vous entendriez exactement la même musique venant du label, mais avec une augmentation drastique des financements. Je suis un fan inconditionnel du double vinyle 10'' donc ça deviendrait probablement le format de référence de nos sorties pour commencer! A la base je suis vraiment content de tout ce que nous arrivons déjà à faire avec quasiment pas de budget. Mais en même temps ce serait tellement bien d'avoir un site web plus élaboré, de pouvoir produire de bonnes vidéos pour nos artistes, de pouvoir s'offrir quelques colonnes dans les magazines et un peu d'espace sur les ondes pour leur donner de la visibilité et de l'audience. Oui, je suppose que ce serait une chance incroyable, utiliser notre pouvoir financier pour pousser la presse la plus mainstream à écouter ce qu'on fait. Edward Bernays version alt-rap, à Wall Street.

Trip-Hop.net : Qu'est ce que tu ne pourrais déléguer à personne, même si le label grandissait beaucoup : quelle part du travail sera toujours la tienne ?

Haha, probablement le dernier mot! En fait j'ai appris avec les années à être sûr de mes points forts et de mes points faibles, à la fois en tant qu'artiste et en tant que personne, et j'ai confiance en ma capacité à imaginer un projet fini depuis sa conception jusqu'à sa finalisation. J'aime pouvoir me dire que j'ai une bonne intuition de ce qui fait qu'un projet marche, et j'aime par conséquent accompagner un projet depuis sa conception jusqu'à sa réalisation de la façon la plus adaptée possible. Ce sont des choses fondamentalement différentes que d'écrire une chanson, de produire un album, de designer le packaging, de faire le marketing et la promo, et tous ces obstacles peuvent sembler assez importants quand on en est à son premier voire à son deuxième album, et j'aime me dire que mon expérience puisse être considérée comme précieuse dans le domaine que nous développons collectivement. J'ai aussi la chance que non seulement les artistes aient tendance à me faire confiance, mais aussi que nos idées et volontés pour leurs projets individuels ont tendance à coïncider. Donc, ça a plutôt bien marché jusqu'ici, et je dois avouer que c'est quelque chose auquel j'aurais beaucoup de mal à renoncer!

Trip-Hop.net : Plus sérieusement, qui aurait dit qu'à eux deux, les britanniques Jamie Romain et P Honey produisent une musique si profonde? Tu peux nous en dire plus sur le second album d'A Band of Buriers?

En un mot, non ! La vérité, c'est que le nouveau Buriers est gardé très secret depuis sa conception. J'ai une vague idée de ce à quoi quelques chansons vont ressembler, et une idée encore plus vague de ce à quoi l'album entier va ressembler, mais à ce stade je ne peux que spéculer comme tout un chacun ! James (P Honey) est devenu un très bon ami en l'espace de quelques années, et je suis très heureux que notre amitié ait grandi durant la période même où il a repris la guitare acoustique et commencé à chanter, d'avoir assisté aux prémices de ce qui allait devenir A Band of Buriers. C'est un réel plaisir de le voir prendre de l'envol, depuis quelques accords sur une guitare trouvée là, assister à sa première chanson acoustique sur scène à Oetinger Villa à Darmstadt vers la fin 2009, à la sortie du premier album et jusqu'à ce moment charnière, à la veille du second. Je peux peut-être avancer, à l'aide d'informations venant de l'intérieur, que ça va être quelque chose de plus sombre et de plus dense, qui devrait confirmer leur réputation d'apporter quelque chose de vraiment remarquable, et j'aimerais tellement que ça leur apporte beaucoup plus de public..

Trip-Hop.net : Un des moments forts de 2011 semble avoir été la réédition de l'album Papervehicle de Papervehicle. C'était quelque chose de vraiment important pour toi, non?

Oh oui, absolument. Tellement important. Cet album, c'est quelque chose de tellement spécial pour moi, pour beaucoup d'amis proches et pour beaucoup d'autres encore. En fait je le décris comme mon album alt-rap préféré de tous les temps, même après longue et mûre réflexion ! Depuis ma toute première écoute il y a de ça des années, j'ai tout de suite été totalement conquis. La musique, les styles vocaux, les textes, tout était criant de perfection pour moi et j'ai passé des saisons entières à m'en imprégner. Je me suis donc considéré comme très heureux de pouvoir nouer une vraie amitié avec eux au fil du temps, qui a fini par nous mener à cette réédition. Je crois que quand James (P Honey) et moi avons commencé le label, on savait à peu près qui on avait envie d'embarquer avec nous, et je crois que réussir à intégrer Papervehicle, c'était un rêve dès le départ.

Trip-Hop.net : Parlons argent: est-ce que le choix du CD a quelque chose à voir avec l'aspect financier, quel est le tirage moyen ? Est-ce que tu épuises souvent tout le stock d'un album, est-ce que tu gagnes ou perds souvent de l'argent?

L'argent bien sûr. Toujours l'argument ultime. Tout à fait, le format CD est totalement dû au budget limité avec lequel nous travaillons. On n'arrive tout simplement pas à rassembler les fonds nécessaires pour sortir du vinyle, même si on est à peu près sûrs qu'on aurait le même nombre de demandes, peut-être même un peu plus qu'avec le CD. Chaque édition a une nombre différent d'exemplaires, ça dépend de la sortie, de la volonté de l'artiste et de mon propre avis sur la question. Notre plus petite sortie, c'était la cassette de Pumpernickle avec 25 copies, qu'on a vendues très rapidement. Notre plus grosse sortie, c'était le 'Rough Tongue Surfaces' (Jamesphoney & jamesreindeer, 2009, NDLR) à 500 exemplaires, et on en a encore un paquet!

On essaie de garder les prix les plus bas possible, ça dépend de la complexité de la sortie physique, des dépenses d'encre et de papier, mais on arrive à dégager un léger profit de chaque sortie. Pas assez pour en parler, mais assez pour réinvestir dans la prochaine et pour couvrir une partie des frais courants de l'opération. C'est un business impitoyable, mais c'est plutôt de bon augure de penser que peut-être, si notre audience continue à grandir, si on reste actifs et qu'on continue à produire de la qualité, on a une chance d'arriver à rassembler les fonds nécessaires pour franchir le cap du vinyle avant qu'il n'y ait plus de carburant. On verra.

Trip-Hop.net : Bien qu'assez atypique, ton dernier projet Iron Filings and sellotape a eu pas mal de succès ici sur trip-hop.net, il a même été meilleur album du mois de septembre. Est-ce que tu t'attendais à ça? Comment tu l'expliques?

Wow, pas du tout. En fait, en raison de l'anonymat du groupe et de l'aspect largement expérimental du projet, je l'imaginais plutôt comme la sortie la plus obscure et la moins relayée, ce dont on s'arrangeait très bien le reste du groupe et moi-même, conscients de notre place dans l'ordre des choses. En vérité Iron Filings and Sellotape, c'est une expérience continue dont moi seul ai eu le projet de faire un album. J'avais rassemblé des enregistrements que j'ai fait écouter à Honey il y a quelques années, il a été totalement conquis et persuadé qu'on devrait en sortir quelque chose chez Decorative. En fait c'est son enthousiasme sans faille pour la finalisation de cet album qui nous a permis de le sortir. Quant à essayer d'expliquer les raisons d'un succès si inattendu, je ne suis sûr de rien. Peut-être est-ce juste dû à la nature du projet lui-même, qui n'est pas tant présenté comme la création artistique d'un groupe de personnes, mais plutôt comme l'image assez alternative d'un monde que l'on connaît à travers un certain nombre de filtres, qui génèrent un ensemble d'émotions auxquelles on est tous connectés. Pour moi, cet album est comme un montage de certains aspects dotés d'une lourde charge émotionnelle de la société humaine des soixante-quinze et quelques dernières années. Peut-être que l'album parle aux gens comme le ferait un reportage d'actualité, ou comme pourrait le faire un bon documentaire. Ce sont des données brutes, non traitées et non cachées derrière la façade procurée par l'image d'un "groupe" ou d'un "artiste". Iron Filings and Sellotape reste anonyme parce que ça n'a pas d'importance de savoir qui a assemblé ce travail, les auteurs sont directement les personnes qui ont involontairement fourni ces enregistrements, Ayman Zawahiri, Robert Macnamara, Eisenhower, etc.

Trip-Hop.net : D'ailleurs c'est épuisé, d'où cette nouvelle sortie : qu'est-ce qui change avec cette deuxième édition ?

Il a juste l'artwork qui change avec cette deuxième édition. On a passé beaucoup de temps à travailler sur la sortie physique initiale de l'album, dans l'objectif d'offrir à l'auditeur le sentiment d'acquérir quelque chose de limité. On a gardé cette idée pour la réédition mais on a complètement révisé l'imagerie présente à l'intérieur. La musique est la même, le format identique, mais avec une collection d'images nouvelles pour accompagner les paysages sonores contenus à l'intérieur.

Trip-Hop.net : Tu nous expliques le nom? Iron filings and sellotape, est ce que ça a à voir avec l'aspect expérimental des enregistrements lo-fi, des packaging maison?

Tout à fait. Je dois avouer qu'en fait je suis responsable du nom du collectif, que j'ai trouvé durant l'été 2003, je crois. Je m'étais retrouvé à rester éveillé très tard devant la télé, et en Angleterre, on trouve souvent des programmes éducatifs sur la BBC au milieu de la nuit. C'est ainsi que je me suis retrouvé à regarder une émission scientifique destinée aux lycéens qui expliquait les principes d'enregistrement de la bande magnétique. Le présentateur était une sorte de passionné, avec un tablier haute protection et des gants de protection, en train d'ajouter de la limaille de fer à du ruban adhésif pour démontrer la possibilité d'enregistrer par ce moyen. La scène est un peu floue dans ma tête à présent, mais on le voyait enregistrer quelque chose sur la bande et le "rejouer" ensuite, produisant une sorte de bruit presque "blanc" et j'ai trouvé ça totalement fascinant. J'ai su tout de suite que le nom collerait parfaitement bien au projet étant donné qu'une part de l'atmosphère que nous voulions transmettre était celle de la découverte d'une bobine d'enregistrements audio au fond des ruines d'un abri anti raid aérien, et donc que ça sonnerait "rustique".

Trip-Hop.net : Qui a travaillé avec toi sur ce projet? Tu en as parlé comme d'un travail sur dix ans, comment est-ce que tu l'as mené à bien? Est ce que le résultat est comme tu l'imaginais?

La vérité, c'est que je ne peux pas révéler l'identité de mes collaborateurs sur ce projet. Je serais moi-même resté anonyme, si l'on n'entendait pas clairement ma voix sur un certain nombre de titres. Comme je l'ai dit plus haut nous tenions tous à attirer l'attention sur la réalité des sons contenus à l'intérieur et non sur les personnes ayant réalisé ce travail, c'est pourquoi on a décidé de rester anonymes dans le but de souligner nos vraies motivations.

L'album représente réellement dix ans de travail, du début à la fin. Bien qu'on ait compilé infiniment plus d'enregistrements qu'il n'y en a sur l'album. L'ensemble est passé de trente-deux tracks, aux vingt qui se retrouvent sur la version finale. Un des thèmes qui a marqué le rythme de l'album, c'est qu'on s'était accordés pour n'y travailler que durant les mois d'été, de juin à septembre en Angleterre. Un grand nombre des thèmes de l'album et un grand nombre des sons ont été inspirés par la chaleur du soleil et dès que l'hiver approchait, on arrêtait la production jusqu'à ce que le printemps soit de retour.

Comme je l'ai dit plus haut, on ne prévoyait pas d'en sortir un album au début. Ça devait juste être un recueil, un archivage d'enregistrements audios, quelque chose à envisager d'un point de vue conceptuel concernant l'assemblage des sons trouvés, quelque chose qui éveille des atmosphères et sentiments particuliers chez l'auditeur. Puis, plusieurs années après, c'est devenu clair qu'il serait d'un intérêt manifeste d'essayer d'en assembler des morceaux sous la forme d'un album, et oui, absolument, le produit fini est tout à fait ce que j'envisageai quand j'ai commencé à y penser.

Trip-Hop.net : Tu veux bien nous parler du sens général, les enregistrements historiques par exemple, les moments, les événements, les lieux évoqués, renvoyant au passé ou au présent, à des mémoires individuelles ou collectives?

Certainement. Le schéma narratif de l'album est librement construit autour des conflits du Moyen-Orient du siècle dernier à commencer par la Déclaration Balfour après la première guerre mondiale; l'idée de grandes puissances occidentales, ostensiblement la Grande Bretagne et les États Unis, et leur volonté de contrôler et en fin de compte, de gouverner le monde. Le Moyen-Orient est bien sûr un problème très lourd en raison des ramifications religieuses des différents conflits. C'était important pour nous de ne pas être considérés comme prenant parti, mais plutôt comme essayant de mettre l'accent sur le chaos général, la misère, la folie, les discours générés par ces événements, et aussi comme parvenant à créer quelques beaux morceaux avec des musiques de là bas mélangées à des sons psychédéliques plus occidentaux.

Les éléments clé de l'album résident dans différents extraits récurrents, ceux du désormais légendaire discours d'adieu du président Eisenhower où il prédit le complexe militaro-industriel, ceux d'Ayman Zawahiri, fondateur du Jihad islamique, au palais de justice égyptien où il a été jugé sur plusieurs chefs d'accusation, des enregistrements audio de l'assassinat de Sadat, des avions de combat américains visant de potentielles menaces durant la guerre en Irak. Tous ces enregistrements sont lourds de signification historique, et en fonction de l'âge de l'auditeur, ils sont présents dans le subconscient à des degrés divers. C'est important de noter que nous n'avons pas essayé d'énoncer une structure narrative claire, mais plutôt de créer un mélange d'images dense qui imprègne l'auditeur de différentes vagues d'expériences, de souvenirs et de sensations.

Trip-Hop.net : Admist the Grease and Chaos rappelle un peu l'album Rough Tongue Surfaces en collaboration avec James P Honey, y a t-il un lien entre les deux albums?

Je pense oui, et de plusieurs façons. Bien que les deux albums aient étés conçus complètement séparément, il y a un certain nombre d'éléments stylistiques ainsi que de thèmes abordés qui se recoupent sur les deux projets. Je ne l'avais pas vraiment analysé avant, mais en fait, il y a clairement une relation entre certains éléments des deux albums. 'Rough Tongue Surfaces' est très psychédélique quoiqu'il soit basé sur de la musique synthétique mais il est à peu près construit de la même façon qu''Admidst the Grease ans Chaos', les morceaux émergeant au milieu d'interférences radio et de grésillements et qui plus est, bon nombre de thèmes de l'album sont liés de près à ceux d'Iron Filings and Sellotape avec une prédominance pour les débuts de l'ère atomique des années 50 et 60, la guerre froide et notamment les apparitions d'Eisenhower, John F Kennedy et Robert Macnamarra sur les deux disques.

Trip-Hop.net : De fbcfabric & reindeer (2005) à Iron filings and sellotape (2011): quel est ton album préféré de James Reindeer?

Wow, c'est quasi impossible de répondre à cette question, c'est comme d'avoir à choisir un de ses enfants! C'est très difficile à dire pour moi, peut être parce que chaque sortie est si différente dans ce que chacune cherche à atteindre, à transmettre, à évoquer. Je suis tellement fier de chacune d'elles et je crois très sincèrement que chacune contient le meilleur de ce que mes collaborateurs et moi-même avions à donner à ce moment précis. Peut-être que je choisirais le fbcfabric & reindeer si je devais vraiment choisir, juste parce que c'était mon premier album et parque ça revêt pour moi une importance plus grande que celle de la musique. Je suis aussi très fier qu'il soit devenu une sorte de classique du - petit - genre concerné, ce qui est un honneur assez indicible. Mais encore une fois, je tiens à souligner que je les aime vraiment tous autant.

Trip-Hop.net : Qu'est ce que tu ferais si tu n'avais le temps de ne sortir qu'un dernier album? Est-ce que ce serait plutôt un disque d'alt-rap avec un producteur, un projet collectif, un album solo?

Hé hé ! Si j'avais le temps pour une sortie jamesreindeer de plus, en fait ce serait le projet au long court sur lequel je travaille actuellement. J'ai depuis longtemps l'intention de sortir un album solo, en travaillant avec les gens qui sont devenus au fil du temps mes plus proches collaborateurs et amis, ainsi qu'avec quelques nouveaux avec lesquels explorer de nouvelles possibilités. Je ne peux pas trop en dire pour le moment puisque les choses sortent à peine de l'étape de pré-production mais je peux révéler que mon ambition est de préparer en quelque sorte mon "grand oeuvre". Un scénario d'album grandiose, du genre "premier et dernier" afin d'explorer à fond les thématiques de mes écrits au sens large, avec en toile de fond le paysage sonore le plus émouvant qu'il soit possible de produire dans le temps imparti. Jusqu'à maintenant, tous mes albums étaient concentrés sur des sujets assez précis qui formaient un tout alors que sur cet album, je prépare soigneusement des textes qui devront être comme une sorte de tout rassemblant tous les éléments en une vision globale. Un projet ambitieux c'est vrai, mais j'aime beaucoup l'idée d'avoir les yeux plus grands que le ventre.

Trip-Hop.net : Qu'est-ce que tu aurais pu être si tu n'avais pas été un artiste?

Question difficile assurément. Quand j'étais beaucoup, beaucoup plus jeune j'étais convaincu que je deviendrai acteur. Je suppose que l'idée a commencé à s'estomper à mesure que je prenais conscience que j'étais bien trop introverti et bien trop indépendant pour collaborer avec des gens dont je ne partagerais pas les idées, et aussi qu'il me serait impossible d'écrire, de réaliser et de produire tout ce dans quoi je jouerais. J'ai toujours eu un amour profond pour la littérature et je pouvais vaguement me projeter comme un genre de professeur de lettres, mais je sais maintenant que j'aurais fait un très mauvais enseignant puisque je n'ai pas la patience élémentaire requise. Historien de l'Architecture, voilà qui aurait peut-être pu me plaire aussi beaucoup. Haha ! Mais j'ai encore le temps!

Trip-Hop.net : Je sais que tu travailles toujours sur plusieurs projets et je suppose que Decorative Stamp a déjà plein de choses de prévues. Prêt à le lever le voile sur quelques unes?

Wow, bien sûr. Après un démarrage en douceur, émergeant de l'hiver il semble que bon nombre de sorties se profilent avant la fin de l'année. Toute notre production est artisanale ici donc on ne peut pas vraiment prévoir précisément quand un disque sera prêt, mais il semble que beaucoup de bons projets arrivent à terme pour 2012. Je ne peux pas donner de date précise pour l'instant mais on peut s'attendre à de nouvelles sorties de Babel Fishh, Evak, The Beastmaster, A Grey Wilson, Bill Van Cutten, James P Honey, jamesreindeer, Coffin Cutters, sans parler du très spécial Decorative Stamp Volume Two et probablement encore beaucoup d'autres ! Un emploi du temps chargé et beaucoup de bonne musique.

Trip-Hop.net : Par curiosité: quel est le dernier album que tu as importé dans ton lecteur?

Ha ha ! Pas facile. La vérité, c'est que dans mon casque, j'ai tendance à écouter les dernières sorties Decorative Stamp. Soit parce que c'est moi qui les mixe et que j'ai besoin de vérifier en permanence toute modification, ou alors parce que c'est une nouveauté d'un des membres de la famille et c'est une joie immense de l'écouter. Quand je travaille pour Decorative Stamp, j'ai tendance à écouter la radio, ou plutôt une radio en particulier, KABL de San Francisco qui passe des vieux succès swing, jazz, hyper relaxant, une ouverture vers des temps reculés. Je crois que le dernier album que j'ai importé, c'était Stakes is High' de De La Soul. Cet album a été tellement important pour moi à l'époque, mais ça faisait des années que je ne l'avais pas écouté, c'était tellement génial de l'écouter à nouveau, c'est tant de souvenirs. C'est assez inhabituel chez moi, mais le dernier l'album j'aie découvert c'est la BO d''Ascenseur pour l'échafaud' de Miles Davis, qui est en train de devenir une sorte de favori, définitivement digne d'intérêt.

Trip-Hop.net : Et bien sûr, pour conclure: quand est-ce que tu viens nous voir ici en France?

Bientôt ! Bientôt j'espère. Le temps a filé tellement vite déjà mais on parle du retour de Babel Fishh et The Beastmaster sur le vieux continent cette année et j'espère vraiment pouvoir les rejoindre de temps en temps sur la tournée cet été et cet automne. Avec un peu de chance, les Ohlsons devrait tourner avec le projet sur lequel nous travaillons actuellement. On voudrait aussi organiser une grosse 'Decorative Stamp party' à Paris comme on a déjà fait. Ne vous en faites pas vous serez les premiers à savoir !

Trip-Hop.net : James, merci beaucoup d'avoir pris le temps de répondre, longue et belle vie à Decorative Stamp!

Merci à vous, mille merci. C'est un honneur pour moi, vraiment.

Propos recueillis par : Mag.
 
 
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